Des
légendes depuis longtemps en usage parmi nous se rencontrent dans les premiers
livres écrits en français. Nos coutumes ont servi de textes à un grand nombre
de légendes.
Une
de ces légendes raconte qu’un seigneur de Rengies, qui habitait les bords de
la Verne, mena si joyeuse vie qu’il dissipa tout son patrimoine. Etant trop
noble pour travailler et trop délicat pour vivre de pain noir et d’eau
claire, il se procura un livre de magie et apprit l’art d’évoquer le
diable. Les formules magiques étaient bonnes, paraît-il, puisque le diable se
montra, au premier appel, sous la forme d’un grand chien noir, ayant des yeux
énormes et brillants comme des braises ardentes, des crocs formidables et une
longue queue balayant le sol.
« Que veux-tu de moi ? » dit l’ennemi
de tout bien.
« Que tu me rendes riche. »
« Je m’en doutais. Vous ne m’appelez tous que pour cela. Du reste,
rien n’est plus facile. Je te procurerai autant d’or que tu en voudras,
naturellement, à une petite condition. »
« Voyons ta condition. »
« Tu me donneras ton âme dans un an d’ici. »
Si Satanas ne fut pas surpris de voir le seigneur de
Rengies ruiné lui demander de le rendre riche, le seigneur ne fut pas étonné
non plus de s’entendre demander son âme en échange de la richesse. Il s’y
attendait ; toute autre condition était à peu près impossible. Que peut
donner un chrétien ruiné de fond en comble, sinon l’âme qui lui
reste ? Il n’y avait que l’échéance du jugement qui déplaisait dans
ce marché au seigneur de Rengies. Il la trouvait beaucoup trop rapprochée.
« Il faut être raisonnable, dit-il au diable.
Une année est si vite passée ! Je veux trois ans. »
« Non ! C’est à prendre ou à laisser. »
« Deux ans, alors. »
« Non. »
« Dix-huit mois. »
« Non. Tu marchandes trop. Garde ton âme et moi je garderai mon
argent. »
Et le diable, tournant les talons, reprit à grandes
enjambées le chemin par lequel il était venu.
« Hem ?
Hem ?, fit le seigneur » ; mais l’autre fit semblant de ne pas
entendre et continua sa route.
Le seigneur se mit alors à la poursuite, et parvint
à le saisir par la queue qu’il tira si fort et si ferme que Satanas, qui
était bon diable au fond, daigna s’arrêter, se retourner et débattre de
nouveau les conditions de ce marché important.
Le malheureux chrétien eut beau dire, son
adversaire persista à lui tenir la dragée haute. Trois fois Satanas fit mine
de s’en aller, et trois fois le seigneur le retint en le tirant par la queue.
A la fin, il dut s’exécuter et consentir à donner son âme en échange d’une
année de richesses.
Pendant trois cent soixante-cinq jours, le seigneur
ruiné roula sur l’or et l’argent. Les pierres se transformaient, pour lui,
en lingots d’or, les feuilles sèches en florins ou en billets de banque du
Hainaut. Tous les financiers du pays de Valenciennes, de Tournai, de Mons, en
vidant leurs coffres-forts et épuisant leur crédit, n’auraient pas suffi à
payer les prodigalités que le seigneur de Rengies se permit. Ce n’était du
matin au soir que noces et festins. Finalement, cet homme heureux fut trouvé
mort dans son lit le matin du 366ème jours.
C’est depuis ce temps qu’on dit de quelqu’un
qui est ruiné de fond en comble, qui ne possède pas un sou vaillant et qui est
réduit aux derniers expédients, QU’IL TIRE LE DIABLE PAR LA QUEUE.
La seconde légende n’est pas moins curieuse, mais
l’explication en sera plus courte.
Le diable étant un pur esprit se faufile partout.
Il peut donc parfaitement se loger dans une bourse vide, seulement il faut que
la bourse soit vide. Qu’elle contienne une ou plusieurs pièces d’or ou d’argent,
et Satanas est obligé d’aller chercher ailleurs l’hospitalité. La raison
est bien simple. Les monnaies d’autrefois portaient d’un côté, l’image
du souverain et de l’autre, une croix. Or, on sait que la croix est
éminemment antipathique au diable.
De là le proverbe : IL LOGE LE DIABLE
DANS SA BOURSE, en parlant d’un homme dont la bourse est complètement
dépourvue de numéraire.
Quoi qu’il en soit de ces deux proverbes, il ne
faudrait pas les prendre trop à la lettre ; on peut être pauvre, même
très pauvre, sans tirer le diable par la queue, ni loger le diable dans sa
bourse.
Les proverbes sont donc, à proprement parler, des
formules concises et vulgarisées d’observations, de comparaisons ou d’allusions
faites à des circonstances fortuites et imprévues. On peut certainement
considérer en eux les résumés des opinions, des pratiques d’un peuple.
Aussi peut on accepter comme heureuse et bien explicite cette définition si
répandue :
LES
PROVERBES SONT LA SAGESSE DES NATIONS.